Chemins...

Les derniers chemins creux sont la mémoire de nos ancêtres, combien d’hommes et de chevaux les ont empruntés…traces à jamais disparues au gré des
remembrements successifs. Souvent quand je les emprunte je pense à un poète breton Xavier Grall, un amoureux de la nature
écoutant le chant du vent, le chant des branches, le chant des hommes et de la mer. Il a écrit entre 1965 et 1972 une suite de billets parus dans
« les Chroniques du Logeco » Voici Chemins 1971.
"Je m’y réfugie souvent. J’y vais seul, faisant sonner sur le sol mes sabots de bois, ressassant mes hantises, mûrissant des projets. Ce sont les chemins de Tréhubert que ne fréquente nul touriste : les derniers chemins creux de Bretagne, à quelque cent mètres de chez moi, derrière une lande communautaire. Celui-ci s’en va dans les brandes sèches, criblé de soleil, montant à un paradis de ramiers. Celui-ci s’enfonce dans l’ombre verte, bordé de pierres millénaires, surmonté de vieux chênes. Les chevaux aujourd’hui disparus ont tracé ces sentiers au long des jours de charroi et de moissons. Je crois les voir encore, mêlant leurs folles crinières aux ramures, hennissant sous le bal de grosses mouches.
Et peut-être ne suis-je après tout que le dernier cheval de ces chemins secrets. Cheval tantôt fourbu de peines, cheval tantôt si passionné de sa terre qu’il aimerait la chanter avec son pas lourd sur les bosses du granit. Oui, mes pas aussi ont chanté sur ces chemins quand les autres s’en allaient glorifier leur corps dans la lumière des grèves.
Derniers chemins bretons « qui s’en vont de travers au lieu d’aller droit » ! Je les sais condamnés par la manie cartésienne de la ligne droite et la fringale moderniste du Génie rural. Et moi je crois que c’est le songe que l’on veux tuer, que c’est le mystère que l’on veut rayer de nos cartes, le moteur est roi, même s’il assassine chaque dimanche la population de bourgades entières qui demandaient à la nature le repos et la paix. Notre environnement est un environnement de sang et de douleur. Mes chemins à moi ne tuent personne. Ils ont rendez-vous avec des blés et des avoines. Et ce qu’ils processionnent sous la banière des genets, c’est la paix. Et ce qu’ils proclament sans bruit, c’est l’accord de l’homme avec sa terre.
Avec moi, c’est toute la poésie du vieux monde qui chemine…"